#mood : Pourquoi tout est devenu une question d’ambiance
- cecileduclos
- 16 nov. 2017
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 17 mars 2023

C’est une de ces tendances qui s’installent de façon insidieuse, qui semblent si insignifiantes que l’on n’y prête attention que lorsqu’il est déjà trop tard. « Mood ». Ce mot signifie ambiance ou humeur. Lorsque vous avez appris l’anglais à l’école, vous utilisiez ce mot dans des phrases subtilement informatives telles que « I’m eating pizza, I’m in a good mood » ou bien « Joe’s wife died, he’s in a bad mood ». Si vous avez par la suite entrepris une carrière créative, vous l’aurez rencontré dans le terme « moodboard », panneau d’ambiance en français, qui est un assemblage d’images et mots évoquant l’atmosphère générale d’un projet, et que vos collègues d’une autre génération prononcent invariablement « moonborde ». Mais dernièrement, quel que soit votre domaine d’activité, vous avez remarqué que ce mot, à première vue inoffensif, avait hijacké la totalité de l’internet : réseaux sociaux, sites musicaux, magazines, le « mood » surgit à tous les coins de clics. Comment cela est-il arrivé ?Il y a quelques années, Facebook régnait suprême sur le monde des réseaux sociaux. Il permettait de partager avec ses amis des photos, messages, mais aussi des « statuts ». Plateforme d’expression privilégiée des adolescents, le statut servait à donner son avis sur un sujet, souhaiter un joyeux Noël général à ses 236 amis , ou bien, et c’est ce qui nous intéresse ici, à partager son humeur de façon transparente (type « trop contente de vous voir les copines <3 »), ou cryptique (« parfois la vie te fait des coups bas, ceux qui peuvent comprendront… »), qui appelaient des commentaires du type « sava ??? MP !!». Tout un art.
Puis est arrivé Instagram. Plus jeune, plus léché, plus international, Instagram a séduit les foules. Seulement, certains utilisateurs, après avoir partagé en instantané ce qu’ils voyaient, faisaient et mangeaient, ont ressenti un manque devant l’impossibilité de partager avec le reste du monde leur humeur. Instagram étant un support avant tout visuel, utiliser la légende des images publiées comme un statut Facebook n’est pas des plus efficaces, l’image prenant toujours le dessus sur le texte. Comment faire ? C’est alors qu’un génie anonyme a eu l’idée lumineuse de tourner cet inconvénient en avantage, en réduisant la légende à un seul mot : mood.

Le concept est le suivant : l’utilisateur poste un selfie ou bien une photo d’une célébrité dans une situation évocatrice (exemple : Britney, crâne rasé, 2007) légendé #mood, qui permet au monde de deviner son humeur, avec même plus d’impact qu’un statut Facebook. Peu à peu, un glissement s’opère, et le hashtag est aussi utilisé dans le sens « ambiance ». Vous êtes à un concert de folie ? Postez une vidéo, #mood. Vous buvez une bière avec vos bros ? Cela marche aussi. Il s’utilise également pour évoquer vos envies du moment : vous avez désespérément besoin d’un séjour à la mer/d’une pizza douze fromages/d’être entouré de chatons ? Postez-en une photo, #mood, le monde comprendra. L’idée est facile et efficace, elle se répand.
La magie du #mood est qu’il permet de lier n’importe quelle image à soi. Si vous postez une photo extraite d’un film, on en déduit que vous aimez ce film, ou que vous êtes en train de le regarder. Si vous utilisez #mood, cela signifie que vous vous identifiez à un personnage du film ou à une situation. Cela devient un jeu d’interprétation, qui dans tous les cas tourne autour de vous. Non, ce n’est pas une image au hasard, c’est une image qui permet de vous décrire à un instant donné. Ce n’est plus simplement le partage d’une image plaisante, à la Pinterest, c’est l’appropriation d’une image pour parler de soi.

On pourrait alors taxer le #mood d’ultime étape dans l’égocentrisme flemmard, puisque même le selfie et le « statut » requéraient une certaine dimension créative et personnelle, alors que le #mood, lorsque utilisé avec une image non créée par l’utilisateur, revient tout bonnement à coller une étiquette « MOI » sur tout ce que l’on voit.
Le phénomène est dans une phase d’ubiquité et de dilution. #mood fait maintenant partie des hashtags « automatiques » , que certains instagrammeurs utilisent sur toutes leurs photos dans un paragraphe de mots qui n’a aucun rapport avec l’image postée, du type « #mood #picoftheday #instagood #instamood #food #beautiful #cool #style #healthy #boy #girl #follow4follow #cat #dog #holidays » etc, et qui a pour but d’attirer le plus de likes possibles. D’un autre côté, le mot s’est répandu au delà de sa terre de naissance anglophone, même vos amis ne maniant pas la langue de J.K.Rowling s’y mettent, et vous les soupçonnez de penser que le mot signifie simplement « image », ou que c’est un acronyme à la mode comme #ootd (pour « outfit of the day », tenue du jour en français). C’est ainsi que l’on se retrouve avec des pleines pelletées de #mood, accompagnant des photos dans lesquelles même avec un grand sens de l’interprétation, on ne peut discerner ni une humeur, ni une ambiance, ni un besoin. Exemple : des pieds. À moins que le compte appartienne à une sirène, mais les chances sont faibles.

On peut donc dire que si le #mood est partout, il a également de moins en moins de sens, et cette saturation pourrait être annonciatrice de la phase de déclin du mot-phénomène.Il va falloir se préparer à enterrer le #mood, pour l’envoyer ainsi rejoindre ses prédécesseurs #swag et #oklm. Le langage a toujours été sujet aux modes, mais comme toutes tendances, à l’heure de l’internet quasi universel, ces modes sont de plus en plus éphémères. Étant principalement digitales, elles sont aussi susceptibles de moins laisser de traces parlées. Dans 70 ans, les adolescents d’aujourd’hui seront-ils satisfaits du « mood » de leur maison de retraite ? Les croisières pour seniors seront-elles « swag » ? En attendant, préparez-vous pour le prochain mot à la mode, il ne devrait pas tarder.
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