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Pop Art Impromptu

  • cecileduclos
  • 15 mai 2015
  • 3 min de lecture

Dernière mise à jour : 17 mars 2023


istiklal caddesi

L’art est partout, et parfois il est aussi par hasard. Cette allitération en R étant très énigmatique, je vais développer. La photo ci-dessus est celle d’une vitrine de la rue principale d’Istanbul, Istiklal Caddesi, devant laquelle je passais tous les matins pour aller au travail (comme stagiaire assistante d’assistante de styliste, mais faisons comme si c’était un vrai travail). Cette vitrine est celle d’un magasin désaffecté, et comporte une affiche simple, mais subtilement intéressante.

La sus-nommée affiche présente 3 informations :

  • La première est le mot « taşındık », qui signifie en Turc « nous avons déménagé », et qui comporte des lettres qui ont rendu mon expérience dactylographique sur clavier turc quelque peu inefficace.

  • La deuxième est « Galip Dede CD. No 69 », qui est une adresse située dans la rue d’à coté, qui est d’ailleurs tout à fait charmante, fourmillant de boutiques de bijoux de type byzantin, de marchands de smoothies et de kebabs à 1€. Mais je m’égare.

  • La troisième, enfin, et la plus intéressante, est l’inscription « we are moved ». Il s’agit de la version anglaise de l’information principale, seulement « nous avons déménagé » se traduirait en Anglais par « we moved », ou « we have moved ».« We are moved » signifie pour sa part « nous sommes émus ». Oh.

« Nous sommes émus. » Je sais pas vous, mais moi, quand j’ai vu ça, j’ai été émue aussi. Passé la première réaction d’amusement face à la petite bourde du traducteur, est survenue une vague de compassion, pour cette personne qui partageait peut-être ses sentiments les plus profonds de manière non intentionnelle. Sont-ils émus d’avoir déménagé ? Certes, ce n’est que dans la rue d’à côté, mais c’est peut-être dans un plus grand local, qui témoigne de leur succès financier, atteint grâce à des années de travail et de sacrifices ? Peut-être. Du coup, ça m’a fait penser à plein de trucs.

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Jenny Holzer est une artiste américaine qui, dans les années 80, a réalisé une série de projections de texte sur des bâtiments *mode Wikipédia Off*. Ces textes sont de nature diverse (souvent engagés politiquement ou socialement), mais ceux qui me semblent les plus pertinents ici sont ceux exprimant à la première personne des sentiments intimes. Le côté massif des lettres capitales donne une violence au propos, nous force à le voir, on ne peut l’ignorer, et se rapproche en cela d’une pratique publicitaire, invasive et non souhaitée. L’utilisation de la deuxième personne est ambigüe, l’artiste s’adresse-t-elle au spectateur de manière à la fois générale et individuelle, ou est-ce un message spécifique adressé à un proche de l’artiste, ce qui nous placerait alors dans une position de voyeur au sein de sa vie sentimentale ?

Il y aurait plein de choses à dire sur ces œuvres, mais je vais me contenter de faire le lien avec la photo de la vitrine turque : un message sorti de nulle part, dans un espace public, affirmant fermement à travers des lettres capitales un message profondément personnel. L’auteur est ému, l’auteur vous parle, à vous, l’auteur questionne la solitude de l’être humain face à ses sentiments.

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Les plasticiens français Jacques Villeglé et Raymond Hains sont des précurseurs du Pop Art. A travers leurs affiches déchirées par des « lacérateurs anonymes » et recomposées, ils créent de nouvelles significations, un amas de lettres et de couleurs à la fois témoins et victimes de l’actualité. Quel est le statut des pages de journaux jaunies qui tapissent la vitrine du magasin turc désaffecté ? Ils existent, porteurs d’informations tout comme l’affiche qui les cache en partie, mais personne ne les lit. Ils partent en lambeaux, se décomposent. Seraient-ils les vrais auteurs du message « nous sommes émus » ? Les journaux portent la trace des faits divers qui nous ont émus un instant, et sont ensuite oubliés pour toujours, nous allons de l’avant, nous suivons la flèche et déménageons. L’auteur questionne la société de consommation et le cycle effréné de l’information, l’auteur nous invite à réfléchir à ce que nous fait vraiment ressentir l’actualité.

Alors évidemment, c’était sans doute juste une erreur de traduction, et même si l’art est dans l’œil du spectateur je pars peut-être un peu trop loin. Mais après coup, je regrette de ne pas être allée au numéro 69 de la Galip Dede Caddesi, et d’avoir demandé à voir le responsable du magasin pour lui dire d’une voix tremblante d’émotion : « Moi aussi. ».

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